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EPISODE 5 : AUTRE CHEMIN DE TRAVERSE : MONA CHOLLET, SORCIERES. LA PUISSANCE INVAINCUE DES FEMMES

EPISODE 5 : AUTRE CHEMIN DE TRAVERSE : MONA CHOLLET, SORCIERES. LA PUISSANCE INVAINCUE DES FEMMES

(Ou pourquoi le règne des mâles blancs, ça suffit)

© Christophe Morin / IP3 . Paris, France le 17 juillet 2012. Séance de questions au gouvernement à l’ Assemblée Nationale, en présence de Cécile Duflot ministre de l’Egalité des Territoires et du Logement

En guise d’introduction très personnelle

Vous souvenez-vous des critiques faites à Cécile Duflot ? Lorsque, ministre, elle ose venir en robe à fleurs à l’Assemblée nationale. Lorsqu’elle ose accepter de se présenter dans une circonscription où elle ne vit pas. Lorsqu’elle émet la possibilité à 45 ans, après avoir été secrétaire nationale d’EELV, ministre d’Etat, d’être candidate à la présidentielle.

Vous souvenez-vous des critiques faites à Najat Vallaud Belkacem ? Lorsqu’elle ose soutenir les abécédaires de l’égalité et donc sous entendre qu’au XXIe siècle il y a encore un problème d’égalité hommes-femmes en France qui commence au plus jeune âge.

Voyez-vous, plus récemment, Manon Aubry (Je dis bien Manon, pas Martine) ? Les doutes exprimés sur sa capacité à mener la campagne de la France Insoumise parce qu’elle est jeune. Doutes si forts qu’il faut absolument appeler papa Jean-Luc à la rescousse.

Voyez-vous Anne Hidalgo ? Lorsqu’on lui reproche d’être trop dure. De décider seule. De changer d’avis. De prendre parfois des mesures impopulaires. Et là, alors, ce n’est pas du courage, mais de l’inconscience.

Cécile, Najat, Manon, Anne…  Et toutes les autres. J’ose vous appeler par vos prénoms.

Pas comme certains journalistes où suinte le mépris quand ils l’utilisent. Non, dans une forme de sororité.

Il y a quelques mois, j’ai lu Sorcières. La puissance invaincue des femmes. Il fait partie des livres qui marquent ma réflexion féministe. Comme le Deuxième sexeque j’ai lu à 20 ans. Comme Femmes qui courent avec les loupsque j’ai lu à 30. 

Les lignes qui suivent se veulent une invitation à la lecture. Je l’assume, elles s’adressent avant tout aux femmes. Nous subissons suffisamment de discriminations et de plafonds de verre pour ne pas s’excuser quand nous créons des espaces pour s’entraider, échanger, se conseiller.

D’ailleurs, il faudrait y penser à le créer ce réseau d’entraide pour les femmes. De femmes. Par les femmes.

Un réseau de sorcières.

Un réseau de béguines.

Un réseau de femmes puissantes.

La sorcière, une femme puissante victime des Modernes, et non des Anciens.

La sorcière. Pas celle inventée par Disney, forcément laide et méchante. Non, LA sorcière, qui renvoie à une force, qui grouille d’énergie, à une expérience accumulée que le savoir officiel méprise ou réprime. La femme affranchie de toutes les dominations, de toutes les limitations.

Celle chassée à la Renaissance (et non au soit disant obscure Moyen-Age). A partir de 1400, mais surtout de 1560, les femmes déclarées sorcières sont chassées en Europe. Persécutions telles, conduites autant par les catholiques que les protestants, que le médecin Jean Wier dénonce en 1563 « un bain de sang d’innocents ». Précisons d’innocentes. 

Eliminer les têtes féminines qui dépassent

Les victimes appartenaient dans leur grande majorité aux classes populaires. Elles se sont retrouvées aux mains d’institutions entièrement masculines : prêtres, pasteurs, tortionnaires, gardiens, juges, bourreaux. Avoir un corps de femme pouvait suffire à rendre suspecte.

Certaines accusées fabriquaient des potions, soignaient les malades, aidaient les femmes à accoucher. Elles représentaient le seul recours vers lequel le peuple pouvait se tourner.

Bûcher de mise à mort de femmes : une représentation bien masculine

Une histoire niée ou déréalisée

Beaucoup d’historiens font preuve de condescendance à l’égard des victimes des chasses aux sorcières. Comment ces chasses ont transformé les sociétés européennes ?

Toutes les femmes, même celles jamais accusées, en ont subi les effets. La mise en scène publique des supplices a été un puissant instrument de terreur et de discipline collective. La culture féminine vivace et solidaire du Moyen-Age prend fin ici.

« Nous sommes les petites-filles des sorcières que vous n’avez pas réussi à brûler »

La première féministe à exhumer l’histoire des sorcières et à se revendiquer comme telle est l’Américaine Matilda Joslyn Gage au XIXesiècle, la militante pour le droit de vote des femmes, les droits des Amérindiens et l’abolition de l’esclavage.

En 1968, le jour de Halloween, à New York, surgit le mouvement WITCH (Women’s International Terrorist Conspiracy From Hell). En 1975, Anne Sylvestre chantait Une sorcière comme les autres.

Le rapport au vivant change avec la prise de conscience de la catastrophe écologiste

Ces dernières années, la dimension de la magie chez la sorcière est plus assumée. La magie apparaît comme un recours très pragmatique, un sursaut vital, une manière de s’ancrer dans le monde et dans sa vie à une époque où tout semble se liguer pour précariser et affaiblir. Une spiritualité hors des religions.

La catastrophe écologique a diminué le prestige et le pouvoir d’intimidation de la société technicienne. Ce système d’appréhension du monde se présentant comme rationnel a abouti à détruire le milieu vital de l’humanité. Quand est élu à la tête du pays le plus puissant du monde un milliardaire misogyne et raciste, la magie apparaît alors à nouveau comme l’arme des opprimés.

Comment cette histoire a façonné notre monde

Mona Chollet se concentre sur quatre aspects. D’abord, le coup porté à toutes les velléités d’indépendance féminine, comme l’expulsion des corporations. Ensuite, la criminalisation de la contraception et de l’avortement. Puis, l’image très négative de la vieille femme inscrite profondément dans les consciences, bouche inutile à nourrir au moment de la privatisation des terres autrefois partagées. Enfin, une nouvelle conception du savoir, arrogante, nourrie de mépris à l’égard du féminin, associé à l’irrationnel, au sentimental, à l’hystérie, à une nature qu’il faut dominer.

Mener une vie indépendante, vieillir, avoir la maîtrise de son corps et de son sexe reste d’une certaine manière interdit aux femmes.

A lire, relire : remarquable, intelligent, sensible.

Le dernier mot pour Mona Chollet 

« Aller débusquer, dans les strates d’images et de discours accumulés, ce que nous prenons pour des vérités immuables, mettre en évidence le caractère arbitraire et contingent des représentations qui nous emprisonnent à notre insu et leur en subsister d’autres, qui nous permettent d’exister pleinement et nous enveloppent d’approbation : voilà une forme de sorcellerie à laquelle je serais heureuse de m’exercer jusqu’à la fin de mes jours. »

NathalieMaquoi
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